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Le Bûcher De Violin
22 septembre 2009

LE NAIN - Pär Lagerkvist

Le nain est méchant. Le nain est sale. Le nain sent sous les bras. En littérature, le nain n’a pas encore été touché par le politiquement correct : on ne l’appelle pas « personne de taille réduite », ou « personne à verticalité contrariée. » C’est au contraire souvent un individu désagréable, qui se livre à des larcins peu catholiques. Terré symboliquement dans les profondeurs, il poursuit des desseins obscurs, rêve de meurtres et d’hécatombes. Il est gardien d’un secret – celui d’une dégénérescence, d’une anomalie.

Le nain de Lagerkvist s’inscrit, à première vue, dans cette tradition du gnome monstrueux. Si la déformation « forcée » de certaines personnes est une pratique légendaire de la Renaissance, lui prétend être héritier d’une race millénaire, élevée en marge des hommes et loin de leur perfidie. Mais Picollino est évidemment bien plus qu’une parodie de nain maléfique –– il n’a rien d’un Brusquet trempé dans le goudron et les plumes, ou d’un Buralowsky déguisé en fantôme. Derrière la fresque italienne et les costumes d’époque, Lagerkvist fait de son nabot une concentration d’abominations sans âge, un golem de chair rance sur lequel se serraient greffés les mille sangsues du péché – un individu sans foi, sans amour ni pitié, privé de Dieu, amputé de Lui.

Sa chair, en effet, comme son langage, est corrompue. Physiquement défini dès l’introduction, c’est par son propre sang qu’il charrie les pestilences de sa langue. Pendant sa pantomime de communion, il s’agite comme l’Antichrist pour offrir la négation du Crucifié ; un Christ qui enfouirait le péché dans le monde. Celui à qui on confie l’intention de massacre pendant le banquet, c’est lui ; c’est lui encore qui se fait bourreau de la Reine alors que celle-ci – emprisonnée dans une Foi malade car centrée sur elle-même, les yeux non pas levés mais rivés au sol, dans une demi-clôture – dépérit sous ses yeux. Il semble attirer, concentrer en lui la laideur du pouvoir, la vanité crasse des ambitions humaines quand celles-ci touchent à la politique ou à la séduction. Sa présence seule empuantit l’air que respire la Cour, et semble métamorphoser les individus en sa compagnie ; empoisonnés, ils dévoilent leurs plus bas instincts. C’est vers lui que se tournent tous les hérauts du pouvoir, qui se vident de leurs angoisses comme des sacs percés.  Piccolino, comme un pendant négatif au bouffon shakespearien, dont la parole est sagesse, est un confident horrible. Horrible « parce qu’il est confident », comme si l’alcôve de la politique n’était qu’un immense champ d’ordures, auquel il ne faudrait prêter qu’une oreille préalablement recouverte de cire. Les thèmes illustrés par Lagerkvist pourraient être considérés comme naïfs (l’argent comme nerf de la guerre, la beauté de l’amour dans un milieu royal perverti, etc) s’ils n’étaient sans cesse rattachés au misérable nain, personnage primordial car révélateur du mal originel au milieu d’apparences mollement fastueuses.

Il n’est pas inintéressant de voir que ce nain, avec tout ce qu’il représente, est fasciné par l’Art, illustré par le De Vinci local. D’abord dégoûté et rétif devant la peinture ou l’anatomie, il sombre peu à peu dans une incompréhension intéressée, voire une hypnose comparable à celle de l’oiseau face au serpent. Ce Diable trouve dans l’Art un intérêt à sa portée. Si Picollino se moque gentiment du maître et de sa curiosité d’enfant, il s’incline vite devant le génie quand celui-ci voit dans son art un moyen d’anéantir les murailles adverses. Un art violent, nourri par la destruction, la mort, et la recherche effrénée de coups qui n’ont pas encore été portés.

Ce que l’art devrait être, quel que soit le médium.

 

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