Back In Black
Tintin au Congo
Ou Tintin chez les sous-hommes. Généralement considéré comme le « vrai » premier Tintin par son créateur lui-même, Tintin au Congo est en fait une œuvre de jeunesse assez ratée, qui aurait probablement disparu des mémoires sans le secours d’associations louables mais idiotes. En lieu et place de la bête immonde parfois évoquée, on trouve surtout ici un paternalisme bon enfant assez répandu à l’époque vis à vis des colonies, et si heureusement les mentalités ont changé, on peut s’interroger sur la pertinence d’une interdiction frappant un document historique dédié à la jeunesse. Tentative veine et nauséeuse de réécrire l’histoire dans le camp du Bien, et pourtant la seule mention que devrait porter cet album pour avertir les âmes sensibles est un bandeau rouge frappé de ces quelques mots : « Je ne sais pas écrire une histoire. »
On en a entendu beaucoup, des vaillants partisans de la liberté d’expression, sortir leurs épées en bois pour défendre cet épisode et lui prêter des vertus imaginaires. Tempête dans un dé à coudre. Car si une seule association méritait de brûler Tintin au Congo, c’était bien la Ligue de Défense des Scénarios, sur laquelle Hergé lâche des odeurs incommodantes. Les débuts de carrière sont parfois difficiles pour un artiste, il faut apprendre à conjuguer plusieurs ingrédients à la fois, respecter une science du goût et du dosage. Tout ingurgiter demande des efforts et un long cheminement personnel. Ici, Hergé souffre d’une digestion difficile : personnages plats (sauf Milou, peut-être, qui n’est pas encore enfermé dans un rôle de faire-valoir), dessins creux (un comble pour le futur maître du cadrage), propos douteux (c’est difficile de le nier, bien que l’auteur s’en soit repenti avec des arguments tout à fait valables) — il n’y a pas grand-chose à sauver. En fait, on sent qu’Hergé ne croit pas encore en son personnage. Tintin a toujours été un personnage fade, mais là où plus tard on percevra dans cette fadeur une dimension toute métaphysique, on ne trouve ici qu’un gamin arrogant crayonné sans génie pour sortir des catchlines navrantes. L’intrigue se limite à une succession de gags avec des chutes plus ou moins inspirées, déclinées sur un modèle burlesque qui a fait son temps. On bâille.
Curieusement, ce sont les scènes de cruauté gratuite envers les animaux qui font le plus rire et remportent les suffrages. La vingtaine d’antilopes abattues, le singe éventré pour servir de costume, le léopard dont on fait gonfler l’estomac, le lion dont qui perd un bout de queue, le serpent qui se la mord (un symbole sinistre de l’ouvrage) — c’est dommage que toute la savane n’y passe pas, car au fond (et c’est bien le message nihiliste que délivre Hergé l’air de rien) la cruauté envers les animaux est plus drôle que le choc des civilisations. Une blague potache sur les accents, pourquoi pas, mais vingt à la suite ? On sent la manie. Dans toute sa punkitude, il est dommage qu’Hergé ne soit pas allé jusqu’au bout du génocide animal, quitte à représenter une anti-Arche de Noé où chaque espèce se ferait dépecer / dynamiter / écorcher. Tout cela au nom du journalisme belge, dont le livre noir raierait mille Amazonies de la carte. Car on sent bien que ce sont les seules séquences où il s’amuse. Le lecteur, lui, devra attendre encore un peu.