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Le Bûcher De Violin
8 janvier 2010

C'est plus drôle que d'attendre la mort

Townes

On avait déjà entendu parler de Townes Van Zandt au début des années 2000. Il était décrit dans quelques papiers comme un troubadour texan très influencé par le blues, au jeu austère et épuré. Pour être tout à fait franc, on ne salivait pas plus que ça en imaginant à quoi ça pouvait ressembler. On imaginait un Dave Van Ronk en plus mince, un chanteur respectable, voire même agréable le temps de quelques morceaux, mais pas de quoi casser la tirelire et développer une sorte de monomanie dangereuse. Et quelque part tant mieux, c'est un plaisir de résister aussi longtemps en ne s'attendant à rien avant de tomber sur ça.

Les amis ne servent pas qu'à boire, parfois ils peuvent aussi avoir bon goût et prêter des disques qu'on oublie de leur rendre. Je remercie encore celui qui m'a fait écouter For The Sake Of The Song, Tecumseh Valley, et Waitin' Around To Die il y a quelques années. C'étaient ces trois-là, le souvenir est très précis. Dans les versions du premier album, passées dans un filtre à violons, clavecins, et arpèges de 12-cordes, à la Glen Campbell des années 60. Ces versions que beaucoup de gens ont critiqué, à commencer par feu Townes Van Zandt lui-même, car elles atténuaient soi-disant la dureté des morceaux pour en faire du sirop, pas du genre contre la toux qui se boit à la bouteille pour s'abrutir de codéïne, plutôt de la mélasse à peine digne d'accompagner un daïquiri Hemingway, pour les connaisseurs.

Et ces gens ont eu tort, évidemment. Car se faire atténuer par des magiciens comme Cowboy Jack Clement, on en connait qui ne refuseraient pas. D'autres même qui aimeraient se faire bâillonner ou tabasser, tant que c'est sous sa baguette... C'est un versant du génie de Van Zandt : ses chansons surproduites en studio (orchestre au grand complet comme dans le démentiel Rake), voire tout simplement produites (une deuxième guitare fantomatique, un harmonica, une flute cassée, un pied qui tape par terre, etc) sont aussi géniales que les versions minimalistes en concert, où Van Zandt ne tolérait pas d'autre compagnon à ses côtés qu'une bouteille de vin. C'est là, probablement, et on ne cherchera pas à le nier, qu'on trouve toute son essence, comme dans l'indispensable Live At The Old Quarter. Un picking discret mais ferme, une voix à la justesse approximative mais terriblement émouvante. Il passe de la ballade lacrymale au talking blues hilarant, raconte des blagues d'ivrognes d'un ton de dur à cuire, s'y amuse visiblement beaucoup, du moins dans ses jeunes années. Mais les enregistrements studios, dans toute leur grandiloquence, sont aussi indispensables, perchés tout en haut d'une aristocratie des cordes qui va de Lee Hazelwood à Robert Kirby et qui a marqué au fer rouge des gens comme Richard Hawley (pour le très bon) ou les Tindersticks (pour le très pénible).

Quelques années plus tard, après avoir tout écouté de manière obsessionnelle, tout appris par coeur, le jugement n'a pas changé : Townes Van Zandt était un génie. Un miracle. Une fée dans un corps de redneck. Bon chimiste, il a retenu le meilleur du blues, du folk et de la country (soit la simplicité poétique, la mélodie, et la narration) sans jamais se planter dans les dosages (ce qui veut dire : pas de boogie con-con, ni de folklore ringard, et pas ou peu de chansons sur le rodéo.) Ce qui étonne d'abord, quand on écoute ses chansons, ce sont les mélodies. Toujours bien écrites (même si toujours dans le même registre), lancinantes, elles sont largement au dessus des autres songwriters de l'époque (John Prine, pour ne citer qu'un des plus talentueux mais dans un genre totalement différent.) Côté texte, il y aurait plusieurs phrases à retenir dans chaque chanson, qu'elles soient mélancoliques, contemplatives ou cyniques. La liste est trop longue, et il faut tout écouter religieusement, tout.

Le problème de Townes Van Zandt, c'est ça. Cet extrait très marquant de Heartworn Highways, où un blanc-bec parvient à faire pleurer un vieux noir revenu de tout, sert la mythologie habituelle qu'on accole au chanteur, à savoir que ce serait horriblement triste, déprimant, noir, etc. Lui-même a largement contribué à répandre ce mythe à coups de citations amusantes ("not all of my songs are sad. some of them are hopeless") et autres anecdotes plus ou moins sordides. Mais tout cela dessert et réduit largement la complexité de son écriture. Il y a beaucoup de chansons tristes, c'est évident, mais on ne dépasse pas le quota réglementaire d'un chanteur folk. Et si les fameuses Waiting Around To Die et Tecumseh Valley sont souvent citées, il faut garder en tête qu'elles font partie de ses premières chansons, et ressemblent, au fond, plus à un exercice de style teinté d'humour noir qu'à de vraies confessions comme le Nothin' des années à venir.

Il faut le dire et le répéter : Townes Van Zandt n'est pas si déprimant à écouter. S'il se trouve toujours au coeur du désespoir, une énergie le tire vers le dehors, et si ce n'est pas la seule qui l'anime, c'est du moins celle qu'il choisit d'illustrer dans ses chansons. On trouve dans sa voix et ses paroles une humanité incroyable, une bonté et une empathie qui réchauffent le coeur (pour citer les plus marquantes, Columbine, She Came And She Touched Me, ou encore un truc à se mettre à genoux en pleurant comme Second Lover's Song, la chanson d'amour la plus étonnante et la plus belle jamais écrite sur la jalousie.) Sa musique semble prendre par la main, rassurer, murmurer à l'auditeur que oui, tout est affreux, triste, sans espoir, mais que lui sera toujours là pour nous accompagner. On échappe à la classification "triste", "nostalgique", ou autre, pour atteindre une beauté, une pureté qui se passent de commentaire. Et on finit donc en meilleur état à la fin d'une écoute qu'au début, comme un rince-cochon au réveil (écrire pour avoir la recette) qui retape après quatre jours sur une banquette de cuir.

A noter que cet avis n'est pas valable pour ses dernières chansons... A la fin de sa vie, après vingt ans d'excès, vagabondage, et pauvreté, Townes perd sa voix et chante des machins horrifiants comme A Song For, Marie ("une chanson pour les déshérités de la terre", on a droit à tout : misère, chômage, la femme meurt de froid avec un enfant dans le ventre, l'homme les abandonne sur la route en attendant de les retrouver au paradis, c'est tout juste si on ne précise pas qu'il a un kyste aux gencives et les pieds plats.) L'album No Deeper Blue (1994) ne laisse pas intact, mais rétrospectivement, c'est bien le début de son oeuvre qui confine au génie, tout ce qui va de For The Sake Of The Song à Flyin' Shoes. Ces albums viennent d'être réédités, et doivent être pillés avant de disparaître comme le coffret Texas Toubadour il y a quelques années.

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Commentaires
M
M. Violin,<br /> <br /> Rien qu'à voyant votre nom (dont la racine est "viol", autrement dit des violences faites à une femme, c'est-à-dire des violences sexuelles), j'ai compris à qui j'avais à faire.<br /> Sachez que la chanson Marie que vous décriez tant de Townes Van Zandt est notre hymne à tous au sein de la ligue M.A.R.I.E. (Mariées A des Ratés Incompétents et Enceintes).<br /> Ne vous étonnez pas si la police vient frapper à votre porte, et je vous souhaite de ne JAMAIS avoir de femme.<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Une femme en colère.
D
Monsieur Violin,<br /> <br /> Etant particulièrement sensible aux tristes conditions des ouvriers (et femmes d'ouvriers enceintes), je vous prierais de ne pas vous moquer des dernières chansons de Townes.<br /> Qui plus est, votre attaque sur mon kyste aux gencives est puérile et mesquine. Elle n'a rien à faire dans un blog de cette envergure.<br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> Docteur Villermé.
Le Bûcher De Violin
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